Les coins à champignons

par Jean

Je vais vous raconter comment, il y a trente ans, j’ai trouvé tous mes coins à champignons. Je ne m’attendais pas à les découvrir de cette manière, ça c’est certain.

 Il faut savoir que je me promène dans les forêts depuis que je suis gamin. Je suis un fou de champignons, alors à l’automne, je passe mon temps à chercher des cèpes. Je ne mange que ce champignon-là, les autres ne m’intéressent pas, ce qui complique la tâche puisque les cèpes, il n’y en a pas partout.

Là où je vivais avant, j’avais mes coins. Mais comme je venais de déménager cette année-là, tout était à refaire. C’est aussi pour ça que cet automne-là, avec Melchior, nous n’arrêtions pas de parcourir les bois aux alentours de Rennes. Nous aimions aller à l’étang de Feins parce que c’est beau par là-bas. Il y a des forêts assez grandes avec des châtaigniers et des chênes. Ce qui m’allait bien, puisque les cèpes aiment pousser autour de ces arbres.

Melchior, fallait le voir détaler dans les bois ! C’était un vieux chien mais il avait des cannes de feu. Il avait l’habitude d’ouvrir la voie. Il partait bille en tête, à une cinquantaine de mètres de moi, puis s’arrêtait tout net à m’attendre. Et une fois que j’arrivais à sa hauteur, rebelote, il partait à nouveau. Pendant que moi, j’avais le nez vissé sur le sous-bois, à chercher mon butin.

Un après-midi d’octobre, alors qu’il était parti un peu plus loin que d’habitude, je l’entendis aboyer. Il faut savoir que ce n’était pas un chien qui aboyait beaucoup. En relevant la tête, je le vis détaler. J’ai tout de suite pensé qu’il devait poursuivre un chevreuil. Je n’étais pas trop inquiet. C’était un chien qui n’aimait pas trop s’éloigner de son maitre. Mais quand même, au bout d’une dizaine de minutes, et ne le voyant pas revenir, j’ai commencé à partir à sa recherche.

Les jours sont courts en octobre et la nuit tombe vite. Je me rappelle que je l’appelais sans cesse « Melchior ! Melchior ! ». Je ne parvenais pas à retrouver sa trace. Au bout de deux heures, toujours rien. J’étais trempé et épuisé. C’était une journée où il pleuvait à verse. Nous étions entre chien et loup, cela commençait à devenir dangereux pour moi, je n’avais pas emmené de lampe torche. Nous étions partis pour une balade d’une heure et voilà déjà trois heures que je marchais.

Quand j’ai regagné ma voiture ce soir-là, j’étais soulagé d’avoir retrouvé mon chemin, il faisait nuit noire ! Inquiet mais pas paniqué, je me suis dit que je reviendrais dès la première heure le matin suivant. Je savais que Melchior allait se débrouiller pendant la nuit, j’avais confiance en mon chien.

Le lendemain, j’organisais un peu mieux mes recherches. J’avais pris avec moi une carte IGN et une boussole. Je me mis en tête de retrouver l’endroit où je l’avais vu pour la dernière fois. Il avait plu pendant la nuit, je n’avais donc aucun espoir de retrouver ses pas. Alors je criais son nom, encore et encore. Ce jour-là, rien, aucun Melchior à l’horizon.

Les jours suivants, je retentais ma chance. J’essayais d’être méthodique et de ne jamais revenir là où j’avais déjà cherché. Bien sûr, pendant toutes ces sorties, je gardais un œil sur les champignons. On ne se refait pas. Il avait beaucoup plu les derniers jours puis le soleil était revenu. Les cèpes, ils adorent ces conditions. Alors c’est vrai que, tant qu’à être là, autant jeter un coup d’œil par terre. Je me suis mis à voir beaucoup de bolets. Moi, je ne les ramasse pas mais on peut dire que ce sont des cousins des cèpes. C’était de bon augure, tout comme les amanites tue-mouches que je voyais fleurir par dizaines sur les bords des chemins.

En revanche, toujours pas de Melchior en vue. J’avais beau tendre l’oreille, je ne percevais rien. Aucun aboiement qui m’aurait mis sur la piste. Rien. Parfois, j’avais l’impression d’entendre aboyer mais je crois plutôt que c’est mon esprit qui me jouait des tours.

Je revenais dès que je le pouvais. Un beau jour, j’ai même vu deux chevreuils. Je leur aurais bien demandé s’ils savaient où était mon chien mais je n’avais pas eu le temps. Ils s’étaient enfuis en me voyant. Alors je suis allé dans la direction où ils étaient partis et je me suis assis par terre, découragé. Et en relevant la tête, à mes pieds, je vis un magnifique cèpe ! À tant chercher Melchior, j’avais fini par trouver ce que je cherchais au départ : des cèpes, beaucoup de cèpes ! Je répertoriais bien comme il faut sur ma carte IGN tous les endroits où j’en trouvais.

Ce pauvre Melchior, je ne l’ai jamais revu. J’aurais préféré le trouver lui, plutôt que tous ces cèpes, mais c’est comme ça. Quand j’y repense, je me dis que si je n’avais pas autant aimé les champignons, cela ne serait pas arrivé… Mais bon, on ne peut pas refaire l’histoire.

Maintenant, tous les ans à l’automne, je parcours les « forêts de Melchior » comme je les appelle. Mes enfants, qui sont grands, y vont aussi. Ce sont les coins à champignons de la famille, nous les gardons secrets bien sûr. Et quand nous mangeons tous ces beaux cèpes, avant de commencer le repas, notre tradition c’est de toujours dire en chœur « merci Melchior » !