La Rosière

Par Marthe

Je vais vous raconter comment j’ai rencontré mon mari. Cela s’est passé à Montreuil-le-Gast. Je n’y ai jamais vécu mais quand j’étais jeune, j’habitais juste à côté. On était au tout début du mois de septembre, il faisait beau cette journée-là, je me souviens bien. C’était la fête de la Rosière.

Il n’y a qu’à Montreuil-le-Gast qu’une fête pareille existe en Bretagne. Ça m’a toujours fait rêver. Petite, je voyais cette jeune fille bien vêtue, avec une couronne sur la tête et gerbe de fleurs à la main. Elles étaient belles, les Rosières !

Avec mes parents, on allait tous les ans à la fête. On encourageait mon frère qui faisait la course cycliste et après, on profitait du reste. Il y avait plein d’animations : un banquet, un feu, des défilés de chars. C’était joyeux, on ne s’ennuyait pas ! Et puis, il y avait le bal. Je voulais tellement y aller à ce bal, mais ce n’est qu’à mes 18 ans que mes parents m’en ont donné la permission.

La première fois, je m’y suis rendue avec deux voisines. Oh je me souviens, je m’étais fait belle ! Il y avait plein de beaux jeunes hommes qui avaient participé à la course à pied et à la course à bicyclette. Tout le monde se retrouvait là le soir, pour danser. J’en avais reconnu certains puisque j’avais encouragé mon frère le long de la route et que c’était toujours les mêmes qui revenaient chaque année ; des garçons des villages alentours, en somme.

J’étais un peu intimidée en ce temps-là, je n’étais pas une grande danseuse. Au début, je n’osais pas aller sur la piste. Je m’étais assise en dehors, sur ma chaise un peu à l’écart, et un jeune homme que je trouvais bien élégant est venu me parler. Comme cela se faisait dans le temps, il m’a invité à danser. Ce n’était que pour une danse, le bal se terminait, mais il me proposa de nous revoir le lendemain au défilé de chars.

J’ai dit oui, j’avais des papillons dans le ventre. Je n’avais jamais ressenti ça et je peux vous dire que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là. Le lendemain, je suis arrivée une heure en avance et lui aussi était venu en avance ! Toute cette après-midi-là, nous l’avons passée ensemble. Nous parlions de tout et de rien. Et surtout, je me souviens que nous avons beaucoup ri. Ça a tout de suite marché entre nous.

Depuis ce jour, nous ne nous sommes plus quittés. Nous n’habitions pas très loin et, en bon coureur cycliste qu’il était, il parcourait souvent les dix kilomètres qui séparaient les maisons de nos parents pour que l’on se voit. Nous avons fini par nous marier et avons eu trois beaux enfants.

Dans le temps, les gens se rencontraient souvent au bal ou aux mariages. Dans les campagnes, c’était bien là les seules occasions de trouver l’amour. J’ai eu de la chance moi : dès mon premier bal, j’ai trouvé mon mari ! Ça devait être mon destin de le rencontrer à la Rosière parce que cette fête, comme je disais, elle m’a toujours fait rêver.

Bien sûr, avec mon mari, on y retournait tous les ans. Et sans exception ! Qu’il pleuve ou qu’il vente, nous étions toujours là. Lui, il faisait la course sportive, puis le soir on se rendait au bal et on dansait comme au premier jour.

Je suis contente parce que la fête est toujours restée la même alors que ça dure depuis 1930 ! Chaque année, une nouvelle jeune fille est nommée Rosière. Chaque année, elle plante un rosier dans la roseraie derrière l’église. Et chaque année, on s’amuse !

Aujourd’hui, je suis heureuse d’y emmener mes petits-enfants. C’est un peu comme s’ils avaient un aperçu de ce que j’avais vécu dans de ma jeunesse. Je suis toujours aussi impatiente d’y aller, je ne raterais ça pour rien au monde. C’est un peu comme un rituel dans la famille. Et qui sait, peut-être qu’un jour, un de mes descendants rencontrera aussi son âme sœur au bal !