Jean-Noël Larcher, Vieux-Vy-sur-Couesnon, 12 janvier 1977

Je suis né à Vieux-Vy-sur-Couesnon. Mes parents avaient une ferme, modeste, juste de quoi subvenir.

Moi, je voulais une autre vie qu’eux alors en 27, je me suis fait embaucher aux mines de Brais dans mon village. J’aurais bien voulu faire autre chose, faire des études, mais je n’ai pas pu. Alors j’ai été aux mines.

Le boulot était dur. On travaillait 8 heures en continu sous terre, on extrayait du plomb argentifère. C’était du plomb avec un peu d’argent dedans, 3% pas plus.

On y allait à la pioche au début, puis avec le temps, on a eu du matériel plus moderne. C’est sûr, c’était dur, il y avait des accidents mais ça ne pouvait pas être pire que la guerre. Moi la guerre, je ne l’ai pas faite, je suis né en 1911.

Ce que j’aimais aux mines, c’était l’esprit de camaraderie. On vivait sur place dans les baraquements. On était un peu les uns sur les autres mais on s’entendait bien.

Au-dessus de nous ? il y avait les ingénieurs. On ne les connaissait pas, ils restaient entre eux. Ils dormaient dans des logements mieux que nous. Ils avaient fait des études, eux.

Et encore au-dessus des ingénieurs, il y’avait le directeur. Ce n’était pas toujours le même, mais souvent, il venait de Paris.

Les ingénieurs, eux, y’en avaient qu’étaient étrangers. Ils gagnaient beaucoup d’argent à venir là. Alors on entendait parler allemand ou d’autres langues que je ne connaissais pas mais qu’étaient jolies. L’allemand, certains n’aimaient pas l’entendre parler. Ça leur rappelait la guerre.

Et puis il y avait aussi des réfugiés d’Espagne qui sont arrivés en 39, juste avant que je ne parte. Je baragouinais quelques mots à l’époque. Je ne saurais plus les dire maintenant, j’ai tout oublié.

Même si on n’était pas les mêmes gens que ceux d’en haut, on partageait la même vue sur la vallée. Oui, vous voyez sur la photo, je suis celui le plus à gauche. Je le connaissais bien ce coin-là, vu que j’ai grandi ici.

Les mines, elles ont été faites à flanc de colline. Il y a le Couesnon qui passe en bas, il va jusqu’au Mont-Saint-Michel. Je ne l’ai jamais vu, le Mont-Saint-Michel. J’aurais bien voulu, il paraît que c’est beau.

On peut dire que j’ai eu de la chance d’aller aux mines. Oui, parce que c’est là que j’ai rencontré ma femme. Elle travaillait à laver le minerai. Ce n’était pas plus ragoutant que de l’extraire.

C’est toxique le plomb, on ne le savait pas à l’époque… ou on ne nous le disait pas. Alors à force de mettre les mains dans l’eau à laver le plomb des heures durant, ses doigts étaient bouffés.

Mais sinon, elle était belle, oui très belle. Y’a qu’à voir mes deux filles, elles lui ressemblent et elles sont belles.

Tous les deux, on a fini par quitter les mines en 39.  Elles ont fermé pour de bon en 51. Y’en avait beaucoup d’autres en Bretagne, des mines. Mais elles ont fini par fermer aussi. Un peu comme dans le nord avec le charbon.

Alors après les mines, nous on est allés à Rennes avec ma femme. On a eu un travail d’ouvrier moins pénible, et puis on vivait ensemble. C’est là qu’on a eu nos deux enfants.

Des fois j’y retourne, à Vieux-Vy. Y’a toujours les mêmes bâtiments. Je revois les baraquements où l’on vivait, ceux où l’on travaillait.

Maintenant, il n’y a plus que des arbres, des ronces et des chauves-souris qui dorment dans les grottes. Mais des hommes, il n’y a plus que les souvenirs.