Alexis Domingo, 21 juillet 2021, Saint-Médard-sur-Ille

Mes grands-parents étaient bateliers, ils venaient d’Espagne. Par un coup du hasard, ils ont mis un terme à cette vie faite de voyages et d’eau fraîche pour devenir éclusiers à Saint-Médard-sur-Ille.

Enfant, j’ai passé toutes mes vacances avec eux, dans le temps suspendu de la vie du canal.

Je suis adulte maintenant mais je me souviens bien.

Je me rappelle que je pouvais passer des heures à écouter mon grand-père raconter ses histoires. Lui, il cultivait des terres derrière la maison.

Si vous le cherchiez, il devait sûrement être à discuter le coup quelque part sur la berge. Ici, tout le monde le connaissait, ce vieil homme avec ses yeux rieurs et ses grandes mains calleuses qui en disaient long.

Avec son accent espagnol encore bien amarré, il nous contait avec ferveur ses anecdotes de bateliers, d’escales et de rencontres. La moitié était inventée, l’autre édulcorée, mais qu’importe, ses récits contenaient l’esprit du canal.

C’est lui, là, sur la photo à droite.

Je me souviens aussi de ma grand-mère. Elle, elle faisait l’éclusage. Elle avait des bras si musclés à force de tourner les manivelles… Elle était du genre à ne pas dire grand-chose, un peu comme moi, mais elle dégageait une douceur, quelque chose de maternant et cela même sans mot dire.

Les gens se sentaient en confiance avec elle. Quand elle n’était pas à écluser, vous pouviez être sûr que quelqu’un était en sa compagnie à boire un café serré dans la cuisine. 

J’aimais rester dans cette cantine, dans les effluves des plats longuement mijotés et les éclats de voix des visiteurs.

Parfois, mémé sortait d’un bond de la maison. Elle avait une sorte de sixième sens pour savoir qu’un bateau allait arriver. 

Moi, c’est à peine si je parvenais à l’apercevoir tout au bout, dans le point de fuite du canal. En attendant l’embarcation, j’avais toujours cette excitation de savoir qui j’allais rencontrer et quelles cargaisons d’histoires allaient débarquer sur les berges.

Je me souviens enfin des soirées passées avec mon grand-père. Il construisait toutes sortes de bateaux pop-pop.

Alors à la nuit tombée, on se postait chacun d’un côté et de l’autre du canal et il allumait les bougies de ses petites embarcations. Elles venaient à moi, tout doucement, dans le ronron du moteur. Puis je les faisais traverser à mon tour. Les allers-retours se multipliaient et grand-père criait ses histoires dans le silence de la nuit.

Aujourd’hui, quand je reviens sur les berges devant la maison vide, je peux encore entendre les élucubrations de pépé, sentir le doux fumet de la cuisine et percevoir dans tout mon être ce bonheur de l’enfance.

Le soir venu, j’allume parfois deux bateaux pop-pop et je les fais traverser la berge. Bien sûr, ils ne reviennent pas, les bougies finissent par s’éteindre, me laissant seul à la nuit.

Si je ferme les yeux, je me souviens encore et je vois les deux lueurs éclairer mon cœur.