Le coquillage
Par Marie
Je vais vous raconter les vacances de mon enfance, j’en garde un souvenir incroyable ! On allait pourtant toujours au même endroit. Mon père adorait pécher alors, une fois par an, on partait au bord du canal d’Ille-et-Rance à Guipel. Ça n’était qu’à une heure de bus de chez nous. En voiture aujourd’hui, je mettrais moins de trente minutes. Mais bon, pour nous c’était les vacances. Et on était toujours aussi excités de partir, moi et mes frères.
J’ai grandi à Rennes, à Maurepas, dans les HLM. Pendant ma jeunesse, on ne sortait pas beaucoup de la ville. Il faut dire que ma famille n’avait ni voiture, ni beaucoup d’argent pour partir. Et quand on allait en vacances, on ne restait jamais plus d’une semaine. On séjournait dans une sorte de gîte qui était très bien. Mes parents connaissaient de loin les gens qui louaient ça.
Je me rappelle bien, il y avait une cheminée dedans. On se serrait devant le soir, mes deux frères, mes parents et moi parce que toute la journée, on était dehors. On partait toujours aux vacances de la Toussaint, mes parents travaillaient tout l’été. Alors dès fois, il faisait froid. La Toussaint, c’est l’automne ! Mais quand j’y repense, je ne vois que des jours où il faisait soleil. Et puis, c’était beau toutes ces couleurs dans les arbres.
Vu qu’on passait nos journées au bord du canal et que le canal était loin à pied du gîte, on s’organisait un petit campement. On avait tout ! On était équipé comme pour faire du camping, on avait même un abri en toile au cas où il pleuve. Ma mère ramenait le réchaud et elle faisait la popotte pendant des heures.
Mon père, il aimait venir ici parce que sa passion, comme je disais, c’était la pêche. Je n’ai jamais trop compris pourquoi puisqu’il n’aimait pas manger de poissons. Alors du matin au soir, il pêchait. Et nous, on s’occupait comme on pouvait. J’avais un frère qui aimait pêcher aussi. Moi, ça m’ennuyait un peu. Je préférais me raconter des histoires et aller dans la petite forêt derrière les berges. Mais j’aimais bien voir les grosses carpes que mon père remontait des fois. C’était impressionnant, ça gigotait dans tous les sens puis ça glissait entre les mains. On les remettait à l’eau et elles se carapataient vite, l’air de dire ̎vous ne m’aurez pas deux fois ̎.
Le soir, mon père, qui ne pêchait jamais grand-chose, restait jusqu’à la nuit et même parfois très tard. Il avait une petite lampe à pétrole et disait que ça mordait mieux dans le noir.
Une fois, je devais avoir dix ans, il m’avait laissé rester avec lui. Mes frères étaient rentrés avec ma mère, ils étaient pressés de se sécher devant la cheminée. Ils avaient joué trop près de l’eau et avaient fini trempés.
Je me rappelle bien de ce jour-là car je n’avais jamais de moment seule avec mon père – c’est comme ça quand on a des frères – alors j’étais très heureuse. Il ne parlait pas beaucoup. Moi j’étais du genre pipelette enfant, alors je parlais pour deux. Je lui posais des questions sur la pêche, parce que c’est vrai que je ne comprenais pas vraiment pourquoi il aimait tant ça. À un moment, je lui avais demandé s’il avait déjà pêché dans la mer. Je me disais que pour un pêcheur passionné comme lui, ça devait être bien aussi. Mais non, il ne l’avait jamais fait. Je crois même qu’il n’y avait jamais vraiment été, ou pas beaucoup en tout cas.
Peu de temps après ce soir-là, une quinzaine de jours plus tard je dirais, notre mère nous réveilla tôt. Je me souviens, c’était un samedi. Je voyais mon père préparer son matériel de pêche. Je me disais que nous devions aller pêcher le long de la Vilaine, comme ça arrivait des fois. Mais non, ma mère m’informa que nous partions pour Saint-Malo, à la mer ! Vous n’allez pas me croire mais je n’étais jamais allée moi ! Autant vous dire que j’étais toute excitée et mes frères aussi.
Je m’en rappellerais toujours. Arrivée à la plage, elle était là, la mer. Pas bleue comme je l’aurais imaginée, mais grise comme le ciel et elle remuait dans tous les sens. Moi qui étais habituée aux étangs et aux canaux, cela me faisait tout drôle. La mer était immense et la berge la plus proche, c’était l’Angleterre, ça me changeait !
La plage était mince ce jour-là parce que c’était une grande marée, m’expliqua ma mère. Mais il y en avait quand même assez pour qu’on s’amuse dans le sable. Mon père jetait ses cannes à l’eau et nous, avec ma mère, on jouait à ne pas se faire mouiller les pieds en suivant les vagues. Bien sûr, on finit tous les cinq les pieds trempés. On était baptisé en quelque sorte.
À la fin de la journée, avant de quitter la plage, je me souviens avoir mis dans ma poche une grosse poignée de sable avec un petit coquillage, tout mignon. Encore aujourd’hui, j’ai toujours chez moi le sable et le coquillage. Je les garde précieusement.
Un hasard de la vie a fait que je vis à présent juste en face du canal, à Guipel. Parfois, je m’arrête sur les berges de mon enfance. Je me dis que mon père aurait été le plus heureux des hommes à ma place. Pour ma part, je ne me suis toujours pas mis à la pêche et, à vrai dire, je trouve ça toujours aussi ennuyeux ! Et la mer ? J’y retourne très souvent, c’est facile avec une voiture. Mais j’ai beau chercher, je n’ai jamais réussi à trouver de coquillage aussi beau que celui de mon enfance.